"Tout sauf toi" : l'occasion manquée de ressusciter la comédie romantique
Cette semaine : ce qui fait le charme des meilleures romcoms et pourquoi le dernier carton du box office américain rate le coche.
Samedi, alors que le soleil nous faisait enfin grâce de sa présence, j’ai choisi de m’enfermer pendant deux heures à l’UGC des Halles, au milieu d’adolescentes surexcitées, pour regarder une comédie romantique à l’accueil critique médiocre.
Aux Etats-Unis, Tout sauf toi est un petit phénomène. Après une première semaine décevante au box office en décembre, le film est devenu un énorme succès grâce au bouche à oreille. À tel point que certains ont pronostiqué un renouveau de la comédie romantique au cinéma.
Et il est vrai que le film coche, à première vue, toutes les cases d’une bonne romcom :
Un duo charmant à l’alchimie palpable. Ici, Glen Powell (la machine à charisme d’Everybody Wants Some!!) et Sydney Sweeney (la bombe d’Euphoria qui gagne un peu en personnalité).
Des références aux grands classiques du genre (la dynamique entre nos deux héros est très librement inspirée de Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare).
Des quiproquos qui pourraient être réglés en trente secondes mais qui éloignent inexplicablement les amoureux.
Une fin heureuse et grandiloquente.
Mais, assise parmi les punaises de lit dans ma salle des Halles, j’ai ressenti une légère déception. Pourquoi ?
Dialogues ampoulés (“Il n’y a rien de plus grand que l’amour”), blagues éventées (une araignée, un slip… je vous laisse imaginer la suite), Tout sauf toi semble tout droit sortie des années 2000, une décennie où les comédies romantiques étaient à la fin d’un cycle (avec des intrigues inoubliables comme : “elle a été 27 fois la demoiselle d’honneur mais jamais la mariée”). Cet épuisement créatif a été suivi d’une disparition quasi-totale des romcoms dans les salles de ciné. D’abord parce que le genre était considéré comme réac, hétéronormatif et ringard. Mais aussi parce que l’industrie, acculée par l’essor du streaming, a abandonné les films moyen-budget au profit d’énormes franchises comme les Marvel.
Pour vraiment ressusciter la comédie romantique, il faudrait que ceux qui s’y attèlent comprennent ce qui en fait le charme, plutôt que de reproduire, à des fins commerciales, une recette aseptisée. Les romcoms ne sont pas épiques, elles sont domestiques, triviales — sans être pour autant superficielles. Depuis leur création, elles accompagnent les évolutions de notre rapport au couple, à l’amour et à l’intimité. Elles reflètent nos fantasmes, nos anxiétés et nos contradictions. Bref, elles nourrissent nos champs des possibles. Et puis, ce sont “des films de filles”, comme l’ironise le personnage incarné par Tom Hanks dans Nuits blanches à Seattle.
Ce que Orgueil et Préjugés offre à ses fans, ce n’est pas seulement une histoire d’amour réjouissante, mais aussi une héroïne complexe, intelligente et moderne. Et quand, dans les années 1930, Katharine Hepburn joue dans une série de comédies loufoques (The Philadelphia Story, L’impossible Monsieur Bébé…), elle fait apparaître à l’écran l’image d’une femme indépendante, dans une Amérique encore corsetée.
À l’époque, pour contourner la censure pudibonde d’Hollywood, qui ne goûte pas la tension sexuelle entre célibataires, les scénaristes sont obligés d’imaginer d’improbables histoires de “remariage” : ainsi, un couple peut vivre l’émoi de la séduction en tout bien tout honneur puisque leur amour charnel a déjà été consommé dans une première vie (c’est la trame de The Philadelphia Story). L’air de rien, ces films font aussi avancer les mœurs en insistant sur l’union romantique plutôt que sur l’arrangement entre deux patrimoines. Dans son essai fondateur, Pursuits of Happiness, le philosophe américain Stanley Cavell estime même que cette époque du cinéma américain est “intimement liée” à “l’Histoire de la conscience des femmes”. Ces œuvres sont à la fois le reflet et le vecteur d’un changement social.
Alors, je ne sais pas à quoi va ressembler la renaissance de la comédie romantique, mais j’aimerais que, comme les comédies loufoques du début du cinéma parlant, elle ait quelque chose à dire sur nous et notre intimité. Quelque chose d’autre que “il n’y a rien de plus grand que l’amour” ⬪
Pour poursuivre cette conversation, je vous retrouve la semaine prochaine avec plein de recos de bonnes comédies romantiques !
C'est une joie de vous lire à chaque fois, vous avez une très chouette plume! Et je passe aussi pour vous remercier d'avoir recommandé Search Engine dans votre dernier article, c'est tombé pile au moment où j'avais ce besoin de trouver un nouveau podcast, et c'est vraiment super chouette comme découverte!^-^
Insipide, prévisible au delà du prévisible. Je lui ai préféré « upgraded » avec Camilla Mendes