Après, promis, j’arrête de parler de Taylor Swift
Cette semaine dans Earworm : Taylor Swift et le triomphe de la culture “de filles” (et mes dernières recommandations du moment).
Cela fait quelques semaines que je n’ai pas alimenté cette newsletter. J’étais trop accaparée par un devoir essentiel, une obligation chronophage mais vitale. Une mission que je ne pouvais refuser : défendre Taylor Swift.
En tant que fan française de la chanteuse, j’ai longtemps eu l’avantage de ne pas avoir à subir de débats sur son talent dans ma langue natale. Mais ça, c’était avant que son hégémonie culturelle n’envahisse nos contrées. Désormais, quand Taylor Swift sort un nouvel album, Les Inrocks s’interrogent sur Facebook “supplice ou nouveau plaisir coupable ?” et Libé commet une critique dégoulinante de morgue, qui qualifie la fan type de la star de “midinette en quête de leçons de vie amoureuse”.
Le sujet infuse aussi les conversations quotidiennes et je ne compte plus le nombre d’échanges que j’ai eus avec des personnes interloquées par son succès. La plupart sont simplement curieuses et c’est avec plaisir que j’explique l’attrait de ma chanteuse préférée – ses talents de parolière, son univers ancré dans l’Americana. Mais j’ai remarqué qu’un thème revient souvent dans les commentaires des plus sceptiques : ses chansons sont “cuculs”, me dit un musicien lors d’un dîner ; elle ne parle “que d’histoires d’amour et de ruptures”, avance une amie qui vient de découvrir ses morceaux... Bref, le problème avec Taylor Swift, c’est qu’elle est, comme dirait Libé, une chanteuse pour “midinettes”.
Dans la fosse du deuxième concert de l’Américaine à la Défense Arena, le public était très largement féminin (parmi les hommes présents, beaucoup de pères ou de conjoints de fans), la plupart des poignets étaient lestés de dizaines de friendship bracelets et les paillettes coulaient à flots (les larmes de certaines aussi). L’univers de Taylor Swift est, en effet, le fantasme de toute adolescente (parfois jusqu’à l'excès). Mais cela fait aussi de son triomphe, celui d’une culture constamment rabaissée.
Comme l’explique l’historienne des médias Delphine Chedaleux dans le podcast Faire Genre, “la culture populaire féminine” fait l’objet d’une “dévaluation systématique”. C’est par exemple le cas des comédies romantiques, le genre cinématographique le plus méprisé par la critique et les cinéphiles. Ce sont “des films de filles”, comme ironise le personnage incarné par Tom Hanks dans Nuits blanches à Seattle, et donc forcément des “plaisirs coupables”. Selon la doxa, les romcoms sont superficielles, commerciales et dénuées d’intérêt (des qualificatifs aussi utilisés par les détracteurs de Taylor Swift).
Les œuvres pour et sur les adolescentes, qui cumulent la double tare de la féminité et de la jeunesse, sont d’autant plus dénigrées. Des dizaines de films, séries, podcasts et documentaires nous plongent dans la psyché prétendument fascinante des pires sociopathes (masculins) et sont parfois salués par la critique précisément pour cette raison. Mais il suffit qu’une oeuvre se place dans la tête d’une jeune fille qui rêve d’amour et d’amitié pour qu’elle mérite les railleries.
Outre les friendship bracelets, dans la fosse ce vendredi soir, il y avait aussi beaucoup de joie et de bienveillance. Une atmosphère cultivée au fil des années par Taylor Swift, qui aime son public et n’a jamais eu honte d’être une chanteuse pour “filles”. Et c’est l’un des aspects les plus jouissifs de son succès : voir quelqu’un qui a toujours mis l’accent sur la vie intérieure des jeunes femmes devenir la plus grande star mondiale ⬪
The Tortured Poets Department
Dans le dernier numéro de la newsletter, publié la veille de la sortie de son dernier album, je parlais justement de mon sentiment de décalage avec Taylor Swift, alors que j’avance en âge et que son image reste toujours aussi jeune. Son nouvel opus, The Tortured Poets Department, m’a rappelé à quel point la chanteuse a mûri artistiquement (à défaut, parfois, de le faire médiatiquement).
Œuvre sombre et enragée, écrite lors de deux ruptures consécutives (oui, elle parle beaucoup de ce sujet), c’est une merveille que j’écoute en boucle depuis plusieurs semaines. Voir ce segment sur scène à Paris n’a fait que renforcer mon amour pour l’album qui est, à mes yeux, son plus accompli. Son seul vice est sa longueur (31 titres, c’est beaucoup). J’ai donc créé une playlist abrégée avec mes morceaux préférés, que voici :
Dernière chose et après, promis, j’arrête avec Taylor Swift : Anaïs Bordages et moi avons enregistré un épisode de podcast qui revient sur sa carrière et tout ce qui fait son brio à nos yeux. Je le mets ici pour celles et ceux que cela intéresse (attention, nous sommes bavardes, surtout sur ce sujet, donc c’est un peu long).
Pour finir, deux recommandations culturelles :
La Gosse, de Nadia Daam :
Ayant été élevée seule par ma mère, je suis sûrement le public le plus cible qui soit de ce livre où Nadia Daam nous plonge dans sa relation avec sa fille unique. C’est drôle, mordant, et cela parle avec beaucoup de finesse de sujets comme la maternité ou l’adolescence. C’est aussi très émouvant et les dernières lignes du récit ont fait de moi une flaque de larmes.
Challengers, de Luca Guadagnino :
On en parle partout depuis des semaines, donc j’ai l’impression que tout le monde a déjà vu le dernier film de Luca Guadagnino. Si ce n’est pas votre cas, je le recommande vivement. C’est sexy, maximaliste, extrêmement fun et la bande son (par Trent Reznor et Atticus Ross) va vous hanter pendant longtemps.
Je vous laisse sur cette scène du film entre Zendaya et Mike Faist et je vous dis à très vite !
Comme si les mecs ne parlaient pas de leurs meufs et de leurs ruptures dans leurs chansons. Double standard encore et toujours... C'est beau de voir triompher la délicatesse, les mélodies pop douces amères et pas que, les papillons dans le ventre et les paroles ciselées comme de la dentelle. En bonne ado attardée (de 45 ans :-D), Taylor arrive à m'émouvoir moi aussi parfois aux larmes et à m'étonner par la profusion de son inspiration et la justesse de ses observations. Elle capture parfaitement en paroles et musique le sentiment amoureux dans tous ses états et les sensations qu'il procure. Première rencontre avec le très country "You're not sorry", je reviens toujours écouter Taytay au fil des sorties d'albums avec émerveillement à chaque fois. Magique!
Mon souhait est exaucé, le sujet Taylor Swift est abordé ! Merci Marie pour cette nouvelle newsletter, toujours aussi sympa à lire entre deux écoutes de vos podcasts :) !