Ces livres qu'on ne peut pas lâcher
Cette semaine dans Earworm : mes recos de "page-turners" et celles de mes ami·e·s.
(Cela fait un petit bout de temps que je n’ai pas envahi votre boîte mail. La faute à l’actualité un poil anxiogène mais aussi à un voyage à l’étranger, sur lequel je reviendrai ici très vite. En attendant, je vous propose un numéro spécial été pour lequel j’ai reçu un peu d’aide.)
Ces derniers temps, je souffre d’abandonnite aiguë. Entre les journées de travail, une légère addiction à mon téléphone et l’actualité souvent chargée, j’ai de plus en plus de mal à dépasser le premier tiers des livres qui me tombent sous la main.
Je suis donc à l'affût de récits addictifs, qui sauront me happer et me plonger dans un univers que je ne voudrais plus quitter. Je ne pense pas être la seule. Alors, si vous cherchez des bons page-turners, vous trouverez ici certains de mes préférés. Et puisqu’il n’y a rien de mieux en la matière que les recommandations d’ami·e·s, j’ai aussi demandé à quelques un.e.s de mes proches de partager leurs coups de cœur.
Pachinko, de Min Jin Lee
Cette saga familiale s’étend sur des décennies et suit le parcours d’une jeune Coréenne, qui émigre au Japon dans les années 1930, après être tombée enceinte hors mariage. Le roman tire son nom des machines à sous très populaires sur l’archipel, qui sont généralement tenues par des immigrés coréens, privés d’accès au reste de la vie économique locale. J’ai lu Pachinko d’une traite il y a plusieurs années, au prix d’une ou deux nuits blanches. Depuis, je le recommande à tous ceux qui cherchent une bonne lecture (je ne suis pas la seule puisque le New York Times l’a placé à la 15e position de ses 100 meilleurs livres du XXIe siècle) et personne n’a jamais été déçu.
Au Bonheur des dames, d’Émile Zola
L’histoire de Denise, de sa découverte des grands magasins du capitalisme et de son histoire d’amour avec Octave Mouret, a été l’un de mes plus gros coups de foudre littéraires à l’adolescence. J’ai relu cette merveille plusieurs fois depuis et je ne m’en lasse jamais.
Persuasion, de Jane Austen
Tous ceux qui écoutent AMIES le savent, j’adore les romans de Jane Austen. Si Orgueil et Préjugés et Emma restent en haut de la liste, Persuasion est venue menacer leur hégémonie ces dernières années. Je l’ai lu durant les premiers jours d’un voyage en Bavière et mes amis ont fini par en vouloir au livre tant je refusais de le quitter. L’intrigue suit Anne Elliot, une vieille fille de 28 ans (mdr) qui vit avec le regret d’avoir laissé filer l’amour de sa vie. C’est l’histoire la plus mélancolique, mature et émouvante de Jane Austen.
Americanah, de Chimamanda Ngozi Adichie
Peu de plumes m’ont autant émue, amusée et émerveillée que celle de Chimamanda Ngozi Adichie. Pour cette liste, j’ai pensé inclure L’autre moitié du soleil, son magnifique roman sur deux sœurs qui se déchirent sur fond de guerre du Biafra. Mais Americanah est une histoire d’amour et je garde un petit côté fleur bleue. C’est aussi le livre grâce auquel j’ai découvert l’autrice nigériane. Chimamanda Ngozi Adichie aborde avec énormément de finesse les questions raciales et post-coloniales dans cette histoire de déracinement et d’identité, mais son talent réside aussi dans ce qu’elle capture d’universel de l’expérience humaine.
Small Things Like These, de Claire Keegan
J’ai un faible pour les auteurs concis et Claire Keegan transmet beaucoup en peu de mots. L’autrice irlandaise est une spécialiste des nouvelles. Dans celle-ci, elle s’intéresse aux “blanchisseries Madeleine”, ces pensionnats catholiques où les “femmes perdues” étaient internées, asservies et exploitées. Plutôt que nous plonger dans l’une d’entre elles, Keegan suit la prise de conscience de Bill Furlong, marchand de charbon d’une petite ville irlandaise dans les années 1980, fils d’une mère célibataire qui a échappé de peu à ce destin.
Le Comte de Monte Cristo, d’Alexandre Dumas
Dans le genre pas concis du tout, il y a Dumas. Ne pas l’inclure dans une liste de page-turners aurait été un crime. Si vous n’avez jamais lu les aventures d’Edmond Dantès, faites-vous ce cadeau. J’ai dévoré ce pavé pendant un été marseillais, et cela reste l’un de mes plus beaux souvenirs de lectrice (si vous avez aimé le film sorti récemment, sachez que le roman lui est largement supérieur).
Le Chant d’Achille, de Madeline Miller
Madeline Miller est prof de latin et grec ancien. Dans ce roman, elle réécrit l’histoire d’Achille et de Patrocle, souvent présenté comme le meilleur ami du héros mais qui devient ici son amant. C’est beau, sexy et tragique. Que demande le peuple ?
Romantic Comedy, de Curtis Sittenfeld
Scarlett Johansson, Emma Stone, Kim Kardashian, Ariana Grande… Ces dernières années, toutes ont été (ou sont toujours) en couple avec un des hommes de Saturday Night Live, l’émission comique culte aux États-Unis. Curtis Sittenfeld s’est inspirée de cette tendance pour son roman. Son héroïne, Sally, est scénariste dans l’émission et rédige un sketch pour se moquer du succès de ses collègues masculins auprès de stars bien plus belles et célèbres qu’eux, et pour souligner un double standard : l’humour des femmes de l’équipe n’est, lui, jamais considéré comme sexy. Évidemment, la semaine où le sketch est joué, l’invité est un chanteur très connu qui semble étrangement attiré par Sally. Le titre du roman annonce la couleur, c’est une comédie romantique, avec certains des clichés que cela implique : le personnage masculin est invraisemblablement parfait et l’héroïne sympathiquement banale. Mais c’est drôle, bien écrit, et extrêmement addictif.
Educated (Une éducation), de Tara Westover
Tara Westover a grandi en Utah, dans une famille de survivalistes mormons, sans accès à l’école ou à la médecine moderne. Avec l’aide d’un de ses frères, elle va s’extirper de ce milieu pour étudier à la fac et finir, quelques années plus tard, par faire un doctorat à Cambridge. Ses mémoires sont une plongée passionnante dans un univers parallèle, violent et paranoïaque, et une ode au pouvoir émancipateur de l’éducation.
J’aurais pu les inclure mais il fallait faire des choix : Limonov d’Emmanuel Carrère, Tendre est la nuit de Francis Scott Fitzgerald, Never Let Me Go de Kazuo Ishiguro, Conversations entre amis de Sally Rooney, L’Amie prodigieuse d’Elena Ferrante, Dune de Frank Herbert…
La Petite Femelle, de Philippe Jaenada
“Pauline Dubuisson a été accusée d’avoir tué son compagnon et jugée dans la France des années 1950. Ce que fait toujours bien Jaenada, ce sont des contre-enquêtes policières, à partir de faits-divers qu’on relit aujourd’hui différemment. Avec cette affaire, ce qui est très intéressant, c’est que cela pose la question de l’impact de la violence sur les femmes, de comment est-ce que cette femme en question a pu s’en emparer. Était-elle la femme diabolique qui a été dépeinte à l’époque par la presse de faits divers ? Ou est-ce que c’était une sorte d’acte de rébellion contre le patriarcat ? Il y a un côté haletant et c’est vraiment un livre dans lequel on plonge.”
Laurène Daycard, journaliste et autrice de Nos absentes : à l’origine des féminicides
Notre part de nuit, de Mariana Enriquez
“C’est un roman que je n’aurais jamais acheté si quelqu’un en qui je fais extrêmement confiance ne m’avait pas dit que j’allais l’adorer. Et s’il n’avait pas était annoté de mots dans des librairies que j’aime. Je trouvais la couverture — un démon aux cheveux orange — kitsch, et je n’aime (a priori) pas le fantastique. Ça aurait été une faute immense : je recommande depuis ce livre à tout le monde, même à des inconnus dans les librairies, et je regrette de l’avoir lu tant j’aimerai le relire (ce que je ferai bientôt de toute évidence). Notre part de nuit est l’histoire d’un père, Gaspar, qui fuit avec son fils une force occulte à laquelle il est lié, un don terrible qu’il ne veut pas lui transmettre. C’est l’histoire de la solitude et de la belle naïveté de l’enfance, de la tourmente et de l’excitation de l’adolescence, de l’espoir et du poids du début de la vie adulte. C’est l’histoire de ce que l’on transmet ou non, d’héritages encombrants, de comment on se construit avec et en opposition à son milieu. C’est une histoire d’amours et de désirs, une histoire de la dictature argentine, des années sida, du Londres psychédélique, de ce que s’engager veut dire. Tout cela raconté par la force de la littérature et de l’imaginaire. C’est des sensations physiques, des scènes qui se glissent dans nos rêves : c’est le pouvoir magique que peut procurer un bon roman.”
Zazie Tavitian, journaliste et autrice de À la recherche de Jeanne
Into Thin Air, de John Krakauer
“Quoi de mieux, pour une lecture de vacances à la fois captivante et dépaysante, que le récit catastrophique de plusieurs alpinistes coincés dans une tempête de neige sur l'un des sommets les plus dangereux du monde ? Bon ok, c'est un peu dark, mais quand je cherche des récits d'évasion addictifs et bien écrits pour les vacances, je sais que je peux toujours compter sur Jon Krakauer. Cet ancien journaliste sportif et alpiniste est une des meilleures plumes lorsqu'il s'agit de raconter l'Amérique des grands espaces (c'est aussi l'auteur d'Into the Wild et Under the Banner of Heaven, tous les deux excellents) . Dans ce livre, depuis adapté au cinema, il raconte la tragédie de l'Everest de 1996, dans laquelle huit alpinistes ont trouvé la mort, au cours d'une expédition à laquelle il participait. L'auteur manie le suspense habilement sans jamais sombrer dans le sensationnalisme. C'est haletant, terrifiant, émouvant, bref c'est un parfait page-turner.”
Anaïs Bordages, critique ciné-série, co-host de l’incroyable podcast AMIES et co-autrice du phénoménal Petit éloge des anti-héroïnes de séries
Si nous ne brûlons pas, de Justine Bo
“Justine Bo est une autrice d’une trentaine d’année. Ce livre m’avait fait beaucoup de bien quand je l’avais lu. Parce qu’il y a une forme de rage dans l’écriture et qu’il y avait un côté presque exutoire pour moi. C’est l’histoire d’une fille qui veut s’extraire de “la glaise de sa naissance”. Elle décrit une ville portuaire, on devine que c’est Cherbourg. C’est un livre qui fait voyager, qui emmène aussi en Syrie. J’avais adoré son énergie. C’est vraiment une lecture qui a vibré en moi.”
Laurène Daycard, journaliste et autrice de Nos absentes : à l’origine des féminicides
Normal People, de Sally Rooney
“La première fois que j’ai lu Normal People de Sally Rooney (en VO), je n’arrivais plus à m’arrêter. Pas parce qu’il y avait du suspense ou une intrigue folle, mais parce que j’avais envie de continuer à découvrir Connell et Marianne, le duo au coeur du roman, connaître leur évolution, savoir s’ils allaient finir ensemble. Le désir joue beaucoup entre les deux, et les scènes de sexe sont particulièrement douces et explicites. Ce qui fonctionne vraiment bien avec ce livre est que l’histoire se déroule sur plusieurs zones géographiques et périodes de leur vie : lycée, fac, échange à l’étranger, début de la vie professionnelle. Sally Rooney répète souvent ce procédé dans ses romans, et je trouve que cela permet de s’attacher aux personnages, de les comprendre (ou pas), mais surtout de les accompagner. Je pense que c’est notamment pour cette raison que ses livres s’adaptent aussi bien à la télévision — même si j’étais moins convaincue par l’adaptation de Conversations entre amis. C’est un autre type de binge reading que Sally Rooney m’a apporté en tant que lectrice. En terminant le roman, je me suis sentie vidée, en espérant que tout le monde aille mieux.”
Jennifer Padjemi, journaliste et autrice de Selfie : Comment le capitalisme contrôle nos corps
La vie clandestine, de Monica Sabolo
“C’est un livre absolument formidable, qui m’a transcendé il y a quelques années. Il a rythmé mon été et je l’ai lu d’une traite sans pouvoir m’arrêter. L’histoire est celle de Monica Sabolo, une ancienne journaliste, qui a écrit plusieurs bouquins formidables, souvent sur l’intime. Dans celui-ci, elle avait à l’origine décidé de ne pas trop se fouler. Elle voulait faire un livre qui puisse se vendre, sans trop parler d’elle. Un jour, elle tombe sur un article au sujet d’Action Directe, se dit qu’elle tient un sujet et décide d’écrire sur ce groupe terroriste communiste. Qu’est ce que ces jeunes ont fait pour en arriver là ? Pourquoi ont-ils décidé d’entrer dans la clandestinité ? Petit à petit, en écrivant sur leur clandestinité, elle s’aperçoit qu’elle enquête sur sa propre clandestinité à elle. Des souvenirs lui remontent, certains violents. C’est bouleversant parce qu’on passe progressivement d’une enquête journalistique à une enquête sur soi. Et puis, Monica Sabolo a une plume magnifique. Je n’avais jamais envie de m’arrêter de la lire.”
Valentin Etancelin, journaliste culture
Voilà pour nos recos de livres pour votre été. Et vous, quels sont vos page-turners préférés ? Je vous laisse sur l’artiste que j’écoute en boucle en ce moment et dont je vous reparlerai sûrement très bientôt : Chappell Roan. À très vite !
C'est exactement l'article dont j'avais besoin maintenant, avec en prime ma chanson du moment également ! Merci !
A quand le retour d'AMIES ?
Merci Marie pour ces belles recommandations :) !