Mais où sont passées les bonnes séries ?
Cette semaine dans Earworm : l’ère de la télé chiante.
Jouons à un petit jeu et voyageons dix ans en arrière. Nous sommes en 2014 et voici les séries disponibles sur nos écrans : Mad Men, The Americans, Parks and Recreation, Veep, The Leftovers, la saison 1 de True Detective, la saison 4 de Game of Thrones, Broad City, The Good Wife, Fargo, Bojack Horseman, Transparent, et Girls. J’en oublie une flopée mais dans cet échantillon figurent déjà plusieurs des meilleures séries de tous les temps. Dix ans plus tard, la révolution de la télé prestige a fait son œuvre, le petit écran est pris au sérieux, on ne compte plus les stars de ciné qui y ont migré et les nouvelles sorties se multiplient plus vite qu’une colonie de cafards dans un appart new-yorkais. Pourtant, j’aurais du mal à citer une seule série actuelle qui mériterait de figurer parmi les œuvres listées plus haut.
Depuis quelques années déjà, l’offre sérielle est davantage caractérisée par sa quantité que sa qualité. L’arrivée de Netflix sur le marché des séries en 2012 a d’abord représenté une promesse – la plateforme allait financer des projets originaux et ambitieux. Mais dès le début, l’exemple de House of Cards augurait la suite. Derrière le vernis prestige et le casting de stars, une intrigue clichée, des dialogues poussifs et des rebondissements capillotractés. Anaïs et moi en avons beaucoup parlé dans notre podcast Peak TV, la majorité des programmes qui ont été produits ces dernières années privilégient l'esbroufe au détriment de ce qui a fait le brio des plus grandes œuvres télé : l’écriture.
Pire, plutôt que d’encourager la créativité, l’incursion de la tech et des plateformes de streaming à Hollywood a conduit à une algorithmisation des productions. C’est ce que regrettait Mike Schur, le créateur de Parks and Rec, Brooklyn 99 et The Good Place, lorsque nous l'avions interviewé dans Peak TV en 2022 :
“Les services de streaming sont, selon moi, trop dépendants des algorithmes qui leur disent quoi programmer. Dans l’ère pré-streaming, quand on pitchait une série, on la pitchait à une personne. Elle se demandait toujours si ça allait marcher, si c'était bon pour la chaîne ou pas, mais c’était un être humain qui répondait et décidait. Désormais, cet instinct humain a été remplacé par un ordinateur qui calcule les chances de succès en se basant sur on ne sait trop quoi. [...]
Le problème quand vous remplacez l’élément humain, c’est que vous allez invariablement louper des choses géniales parce qu’elles ne vont pas correspondre à ce que l’algorithme conçoit comme un succès. [...] ‘Breaking Bad’ est un très bon exemple. Personne ne regardait la série pendant très longtemps. C’était divinement bien fait, divinement écrit et interprété, et après quelque temps le bouche-à-oreille a fait son travail et les gens ont commencé à en entendre parler. [...] Si un algorithme avait décidé, cette série aurait été annulée. [...]
Sans cette participation humaine, j’ai peur que tout soit lissé, que tout ce qui est tranchant à la télé soit lissé et que ça devienne un petit peu chiant.”
Les craintes de Mike Schur se confirment. Dans un récent article du New York Times, le critique James Poniewozik donne un nom à cette nouvelle ère un petit peu chiante : la “Mid TV”, ou la télé moyenne. Les séries sont rarement nulles, mais rarement géniales. Cette médiocrité est “ce qu’on obtient quand on élève les niveaux de production mais qu’on abaisse les ambitions”. Le journaliste compare les séries d’aujourd’hui à l’esthétique AirBnB ou aux cafés de hipsters qu’on retrouve à l’identique dans toutes les grandes villes du monde. La solution pour sortir de ce bain triste et fade ? Prendre des risques, quitte à se louper et parfois faire de la mauvaise télé. Cela permettra, au moins, de ne pas s’ennuyer ⬪
Je vous laisse avec l’interview de Mike Schur, génie de la comédie qui a beaucoup de choses passionnantes à dire sur l’état de la télé.
Si vous avez vu d’excellentes séries récemment, n’hésitez pas à m’envoyer vos recommandations. À très vite !
Extraordinary et Ripley (+ The Bear) sont mes derniers vrais coups de coeur, mais c'est intéressant (et un peu triste du coup) de lire cette analyse de la qualité des séries actuelles...
Severance m'a hantée pendant plusieurs semaines. Baby Reindeer m'a dérangée/bouleversée, même si j'ai parfois eu le sentiment que le scénario respectait un cahier des charges pré-défini. Et Sambre. Et Icon of Frenc cinema. Et Little Bird. Bref, il y a encore quelques pépites pas trop formatées.