Meghan Markle et le culte du néant
Cette semaine dans Earworm, j'ai regardé « With Love, Meghan » pour que vous n'ayez pas à le faire. Et aussi : une page d'histoire des Oscars.
Si vous passez du temps sur TikTok ou tout autre endroit peuplé par la « gen Z », vous avez sûrement entendu parler du « beige millennial », l’esthétique supposément chiante à mourir des trentenaires et jeunes quadras. Cette catégorisation crispante (#notallmillenials) vient de trouver sa plus grande légitimation avec le camaïeu d’ennui proposé par Meghan Markle (pardon, Meghan of Sussex) dans sa nouvelle série diffusée sur Netflix. With Love, Meghan est une célébration du beige sous toutes ses formes, une ode à la médiocrité, un hymne au néant.
Au fil de huit épisodes, la duchesse de Sussex partage avec nous ses meilleurs plats et astuces d’hôtesse, accueillant à chaque fois de nouveaux amis dans son cottage greige. Allergique aux couleurs vives (même ses gâteaux ne sont pas assez cuits) et presque exclusivement vêtue de tons neutres, l’ancienne actrice dispense des platitudes du type « love is in the details » ou « good hives, good vibes », tout en détaillant des recettes dignes d’un tableau Pinterest de 2013. Sa spécialité ? Un plat de pâtes « one-pot » qui semble tout droit sorti d’une vieille édition de Simplissime. Sa seule originalité ? Des petites fleurs séchées qu’elle saupoudre sur absolument tout.
Chaque minute du programme offre de quoi s’émerveiller du manque de personnalité de celle qui se rêve déjà en nouvelle Martha Stewart. Ici, elle passe cinq minutes à détailler son plateau de crudités (des carottes, concombres et radis coupés en rondelles) qui accompagne un houmous acheté en magasin. Là, elle nous explique comment mettre des petites fleurs dans des glaçons (attention à ne pas utiliser de l’eau non filtrée, au risque de vous retrouver avec de la glace trouble !). Ces scènes sont ponctuées de remarques truculentes comme « j’ADORE l’ail » ou « j’ADORE les brunchs » et d’anecdotes sur « (son) mari » qui ADORE le bacon.
Par conscience professionnelle (et parce que le vide intersidéral de la série s’accorde bien avec mes capacités d’attention actuelles), j’ai regardé tous les épisodes – certains en 1.5x, car j’ai mes limites. J’y ai appris plusieurs choses :
Quand vous recevez un invité chez vous, vous pouvez placer des snacks dans sa chambre pour ses fringales nocturnes. La duchesse prend par exemple des bretzels au beurre de cacahouète achetés au supermarché, et les sort de leur sac plastique pour les placer dans UN AUTRE SAC PLASTIQUE, celui-ci avec un nœud (« love is in the details », rappelez-vous).
Autre idée super : préparez environ deux kilos de sels de bain, avec 100 euros de sel de l'Himalaya dans le mélange « pour apporter un peu de couleur ».
Si vous n’avez pas de poche à douille, vous pouvez utiliser un sac de congélation dont vous coupez le bout, pour décorer vos gâteaux. Certes, cette astuce figure déjà dans 8 000 posts BuzzFeed et 13 000 hacks Pinterest, mais là c’est une duchesse qui vous le dit.
Malgré votre amour des petits emballages en plastique, vous rêvez d’un retour à la nature ? Rien de plus simple ! Faites infuser du thé sur votre terrasse grâce à la chaleur des rayons du soleil. Cela prendra plusieurs heures, mais utiliser une bouilloire est vraiment un move de pouilleux.
Pour ne pas être taxée de mauvaise foi, je précise que certains épisodes mettent en avant des invités qui ont, eux, une expertise, comme la légendaire Alice Waters ou Roy Choi, un chef coréen-américain. Je reconnais aussi un certain talent de fleuriste à Meghan. Ceci dit, rien ne pourra me faire oublier les longues minutes dédiées à l’assemblage d’une salade de fruits en forme d’arc-en-ciel ou le tuto sur comment faire un paquet cadeau.
Les attaques sexistes et racistes dont la duchesse de Sussex a fait l’objet depuis son entrée dans la famille royale sont dégueulasses et inexcusables. Mais avoir été victimes d’un système pourri ne rend pas Meghan et Harry plus intéressants ou moins opportunistes. With Love, Meghan fait partie d’un partenariat de cinq ans signé entre les Sussex et Netflix, estimé à 100 millions de dollars : autant d’argent que la plateforme ne consacrera pas à la création de séries de qualité, qui s’y font malheureusement de plus en plus rares.
Mikey Madison vs Demi Moore, retour d’un classique d’Hollywood
De nouveau, Hollywood manifeste son amour pour les ingénues avec la défaite surprise de Demi Moore face à Mikey Madison, dans la course à l’Oscar de la meilleure actrice. La première avait pourtant tout pour gagner : tête d’affiche ultra populaire dans les années 90, légende d’Hollywood à travers son mariage avec Bruce Willis, elle n’a jamais reçu la reconnaissance de ses pairs et a vu sa carrière s’étioler avec l’âge. Son rôle dans The Substance joue sur cette image d’actrice has been, mise de côté au profit de starlettes plus jeunes, et lui offre l’opportunité de prendre des risques, de s’enlaidir (chose que les Oscars adorent) et de passer au vitriol sa propre industrie. Pour ne rien gâcher, son émouvant discours de victoire aux Golden Globes promettait un moment mémorable le jour de sa consécration. Bref, ce devait être les Oscars de Demi Moore. Qu’une jeune actrice de 25 ans, certes excellente, mais à peine révélée et nommée dans son premier grand rôle au cinéma, la double à la dernière minute paraît cruellement ironique.
Ce face-à-face m’a rappelé une autre page de l’histoire des Oscars. En 1951, la catégorie de la meilleure actrice est marquée par la présence de deux légendes du vieil Hollywood en plein come-back, Bette Davis, pour son rôle dans All About Eve, et Gloria Swanson, pour Sunset Boulevard. Les deux films ont en commun de s’intéresser au sort d’actrices vieillissantes, menacées par le succès de femmes plus jeunes. La cérémonie promet alors un duel au sommet entre ces deux monstres sacrés, qui ont osé se montrer vulnérables à l’écran. Mais c’est finalement Judy Holliday qui l’emporte pour son rôle de sympathique écervelée dans Comment l’esprit vient aux femmes. En réponse à sa victoire, Bette Davis ironise : « parfait, une nouvelle venue a gagné, je suis aux anges ». Gloria Swanson, elle, s’agace d’avoir « convaincu le monde du plus ringard des clichés théâtraux : qu’en de rares occasions, l’acteur devient vraiment le personnage qu’il incarne »1.
Les deux films, mais surtout leur héritier Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?, donneront plus tard naissance à un sous-genre, la « hagsploitation » – des œuvres horrifiques autour de figures de « vieilles peaux » – que subvertit justement The Substance. Parce qu’à Hollywood aussi, l’histoire se répète toujours deux fois, d’abord comme tragédie, puis comme farce.
Sans aucune transition, je vous laisse sur une recommandation : cette merveilleuse interview de l’écrivaine québécoise Gabrielle Filteau-Chiba sur la décroissance, notre rapport à la nature et ses années passées dans une cabane en pleine forêt boréale. À très vite !
Au sujet de cette cérémonie mais aussi de l’histoire des Oscars en général, je recommande vraiment le merveilleux livre de Michael Schulman, Oscar Wars.
Merci pour cette newsletter ! Tu m’évites de regarder la série de Meghan Sussex (hihi, c’est même pas leur nom de famille…) et à la limite je suis intéressée par les invités. De ce que tu dis, c’est vraiment l’apothéose de la beige mom où tout est toujours immaculé, bien fait et ça a l’air si simple… On nous vend l’idée d’une vie de famille parfaite alors qu’ils en ont les moyens. Tout le monde n’a pas le temps de faire des glaçons fleuris à l’eau filtrée. C’est vraiment ce qui m’agace aujourd’hui dans ce genre d’émissions mais aussi sur les réseaux sociaux.
Et je suis tellement déçue pour Demi Moore, elle n’est pourtant pas une actrice que j’affectionne particulièrement mais j’ai adoré sa prestation dans The Substance (un énorme coup de cœur pour ce film) et comme tu l’expliques si bien, rien que pour le message du film : ça aurait été fort de lui donner. Mikey Madisson était excellente dans Anora, mais était-ce Oscar worthy ?
Je reviens aussi sur le commentaire de Sophie Renaude. Avec mon mec, on a aussi trouvé ça très peu engagé comme cérémonie… ils ont peur de Trump ? Toutefois, je suis ravie que le documentaire gagnant soit une co-réalisation entre un Palestinien et un Israélien, c’était assez fort comme discours.
P.s. : pour la concentration de future maman qui se carapate, courage !
Merveilleuse cette chronique, tout est parfaitement juste et je suis ravie de lire quelqu’un qui ose et ne mâche pas ses mots.
Sans méchanceté mais sans vernis non plus.
C’est marrant parce que je vais faire la même chose dans mon prochain post lundi à propos de romans primé / best-seller que j’ai récemment lus, et je me suis demandée jusqu’à où je pouvais aller sans passer pour une méchante.
Dans le cas de Meghan Markle (désolée je ne l’appelle pas autrement après tout le pataquès à propos de leurs demandes de retrait de fonctions royales il faut savoir ce qu’ils veulent) c’est un peu la même situation que tu décris parfaitement. Elle et Harry sont deux personnes très polarisantes et si rien ne justifie les attaques racistes ignobles dont ils ont fait l’objet, parfois on peut se demander si on a quand même le droit de souligner leur vacuité intersidérale et leur soif illimitée de paillettes (et surtout de pognon).
Je vis à Londres, je peux te dire qu’ici, je ne leur conseillerais pas d’aller se balader sans garde du corp dans east london.
Cela ne m’étonne pas que la série Netflix soit si insipide, c’est uniquement une page publicitaire.
Quant aux oscars, effectivement cela a été un peu la surprise de voir Demi Moore coiffée au poteau par une actrice qui commence tout juste sa carrière.
Pour être honnête, j’ai trouvé cette cérémonie étrangement apolitique. Sans tomber dans certains excès des Césars, on peut quand même s’interroger sur le manque de prise de parole d’artistes engagés alors que leur pays sombre dans le fascisme à la vitesse d’un cheval au galop.